Le livre que je suis en train de lire est « Preserving Minds, Saving Lives » (Préserver les esprits, Sauver les vies), édité par « Alcor Life Extension Foundation », leader du domaine de la cryopréservation.
Dans cet article je partage avec vous mes notes de lecture.
Accéder aux autres articles de la serie
Cryonie: Des débuts tumultueux
Le livre se veut exhaustif et transparent; il se penche sur les ratés de la cryonie.
De quoi s’agit-il en fin de compte? L’objectif de la cryonie est de préserver les corps à basse température; les premiers essais ont été conduits dans les années 60. Les pionniers d’un domaine, souvent commencent de façon quasi clandestine et dotés de moyens minimes. Ils doivent défricher un territoire nouveau. Les pionniers de la cryonie me font penser aux savants ayant entrepris la dissection des corps au Moyen âge; la pratique macabre était mal vue. Les praticiens manquaient d’outils et d’expérience mais leurs tentatives ont permis l’établissement de nombreuses connaissances anatomiques. La dissection est aujourd’hui monnaie courante et systématiquement pratiquée dans les pays développés en cas de décès de mort non naturelle.
La cryonie a connu des échecs, c’est un fait dont ne se cachent pas les cryonistes. Il y a bien eu plusieurs cas où des corps cryopréservés ont dû être décongelés pour finalement finir enterrés, et ce à cause de problèmes techniques mais surtout financiers. Comment en effet assurer financièrement la cryopréservation d’un corps pour des dizaines, voir des centaines d’années à venir?
Plus un domaine est novateur, moins il bénéficie de procédures standardisées et plus les résultats vont dépendre de la volonté et du savoir-faire d’individus passionnés. La cryonie ne fait pas exception. Plus un domaine mature, plus standardisations et procédures codifiées vont prendre le relais sur l’improvisation. Si la cryonie est loin d’être arrivée à maturité, le livre assure que la pratique est beaucoup plus robuste qu’à ses débuts et bénéficie de décennies d’expérience.
Il me reste plus de 400 pages à lire; je suis certain que le livre nous en apprendra plus sur les moyens modernes de la chaine de cryopréservation et des perspectives futures de réanimation.
Le conflit Cryobiologie / Cryonie
Le livre poursuit le chapitre sur l’Histoire de la cryonie en nous contant les antagonismes entre cryonie et cryobiologie.
Cryobiologie
Branche de la biologie qui étudie les effets des basses températures sur les organismes, le plus souvent dans le but de parvenir à cryoconserver.Cryonie
Branche naissante de la cryoconservation des humains et des animaux, dans le but de parvenir ensuite à les restaurer. À l’inverse de la cryogénie ou de la cryobiologie, la cryonie n’est pas une science établie et est encore perçue aujourd’hui avec scepticisme de la part de la plupart des scientifiques et médecins. En tant que technologie, la cryonie tente d’appliquer les résultats de nombreuses sciences, dont la cryobiologie, la cryogénie, la rhéologie, l’oxologie, etc.
Si la cryobiologie est une science établie, la cryonie ne l’est pas encore. Les recherches de la cryobiologie ont permis les progrès en matière de conservation d’organes en vue de transplantation par exemples.
Les cryonistes ne s’en cachent pas; ils sont aujourd’hui plus un groupe de support pour la recherche qu’autre chose. Ils ont besoin des cryobiologistes pour mener à bien leur projet, et une synergie spontanée aurait dû se développer entre cryonistes et cryobiologistes comme ce fut le cas dans d’autres disciplines. Le livre cite le cas de fondations, qui à l’instar de la Fondation américaine pour la guérison de la paralysie ont pu entrer en synergie avec le corps scientifique afin d’organiser la levée de fonds destinés à la recherche.
Ce ne fut pas le cas pour la cryonie, contre laquelle les cryobiologistes finirent par entrer en « guerre », c’est bien le terme utilisé dans le livre, à la fin des années 70, début des années 80.
Les raisons de cet antagonisme sont multiples, et l’on peut saluer la transparence et l’honnêteté de l’auteur du chapitre Michael Darwin qui dresse une chronologie de la détérioration des relations entre cryonistes et cryobiologistes. Les cryobiologistes ont des raisons de vouloir se distancier de la cryonie; on peut en penser ce que l’on veut; qu’elles manquent d’audace; elles n’en demeurent pas moins compréhensibles.
Parmi ces raisons, voici les plus notables:
- La mort et le processus de refroidissement causent des dommages irréversibles.
Les cryonistes ont de nombreux contre arguments à ce sujet. Il ne faut pas envisager le processus de réanimation à l’aune de nos capacités technologiques actuelles, mais à l’aune des capacités technologiques d’un futur où la Nanotechnologie moléculaire sera maitrisée. Le livre explore plus loin ces possibles moyens de réparation en vue d’une reanimation. - La crainte d’être publiquement associés à ce que certains cryobiologistes qualifient de pseudo-science.
- La crainte que l’histoire tumultueuse de la cryonie, ne se répercute sur le domaine de la cryobiologie.
- Le fait que la cryonie ne se cantonne pas uniquement à la recherche, mais qu’elle congèle des patients avec des techniques imparfaites n’ayant pas fait leurs preuves.
Ce dernier point est capital, l’hostilité du corps scientifique aurait été moindre si les cryonistes s’étaient contentés de recherches.
Mais voila, la cryonie n’est pas seulement une affaire de science, c’est aussi un extraordinaire acte de foi individuel, un changement de paradigme mental, un saut vers l’inconnu. Si les cryonistes sont férus de sciences et technologies, s’ils sont d’ardents champions de la recherche scientifique et comptent dans leurs rangs d’éminents scientifiques, le caractère improuvable de leur objectif se heurte aux procédures de la science bona fide. Ce qui est finalement peu surprenant.
La cryonie a évolué depuis ses débuts. Elle s’est professionnalisée. Les cryonistes n’hésitent pas à confronter les cryobiologistes sur les bases scientifiques de leur propre discipline. La pierre d’achoppement des débats concerne les dommages causés par le processus de refroidissement. Des cryobiologistes soutiennent que ces dommages sont irréversibles, les cryonistes prétendent le contraire.
Le livre reviendra ultérieurement plus en détail sur le processus de vitrification.
L’impossibilité actuelle de réaliser le cycle cryosuspension / réanimation, est-elle une raison suffisante pour l’inaction? Les cryonistes pensent clairement que non, d’autant que le risque pour le volontaire est nul ! Qu’aurait à perdre une personne décédée ? Sa vie est achevée; entre la crémation et le pourrissement elle a au contraire tout à gagner à faire le pari de la réanimation futur!
La guerre entre cryonistes et cryobiologistes ne bénéficie finalement à aucun des deux partis, tel est le constat dressé par le livre.
Pour le cryonistes, la conséquence est la difficulté d’accès à l’appareil scientifique. Pour les cryobiologistes, c’est l’auto-amputation de la dimension la plus épique de leur discipline: la suspension de la vie humaine, ce qui a pour conséquence une baisse de visibilité et de capitaux de financiers intrépides à la recherche de solutions pouvant changer le monde!
Note: Ce résumé de l’histoire de la cryonie est basé sur un article publié dans les années 90. Il ne précise pas si les choses ont évolué depuis.
Comment financer des décennies ou siècles de cryosuspension ?
Comme évoqué plus haut, un des facteurs majeurs de l’échec d’une cryopreservation fut souvent l’aspect financier.
Il était de coutume pour les premiers patients de la cryonie de faire financer leur maintien en cryosuspension par leurs proches toujours en vie. Ce système ne pouvait tout simplement pas fonctionner sur le long terme. Comment s’assurer que les descendants ou proches allaient continuer à entretenir la préservation d’une personne qu’ils n’avaient jamais connue? Comment faire perdurer la motivation? Comment s’assurer la disposition suffisante de fonds?
Alcor, a résolu le problème en créant un ‘trust’ dédié pour ses patients.
Le trust est un acte juridique unilatéral sanctionné par l’Equity de la Common law, dans lequel un individu ou une personne morale (le settlor) transfère des actifs au trust et confère le contrôle de ces biens à un (ou plusieurs) tiers ou à une (ou plusieurs) institution — le(s) trustee(s) — pour le compte du ou des bénéficiaire(s).
Le patient désirant être cryopréservé paye un certain montant à Alcor; cette somme n’est pas allouée à la préservation du patient particulier mais mise dans un trust commun.
Ce sont les revenus générés par les investissements de ce trust qui serviront ensuite à preserver l’ensemble des patients d’Alcor.
Ce trust est une entité juridique à part entière, ce qui le protège de toute réclamation et usage autre que celui pour lequel il a été conçu à savoir le financement de la préservation des cryo-patients.
Pour vous donner une idée de la taille de ce trust, il disposait en décembre 2017 de plus de 16 millions de dollars, la majorité placée dans la banque d’investissement Morgan Stanley.
En 1999, la définition du Trust, irrévocable, a été approuvée: aucun membre d’Alcor ne peut annuler le Trust avant accomplissement de sa mission: « Preserver tous les patients en état de cryopreservation jusqu’à qu’ils puissent être réparés et ranimés« …. ce qui assure la pérennité du Trust pour les décennies, voire les siècles à venir.
On imagine les difficultés juridiques qu’ont dû affronter l’équipe d’Alcor et leurs avocats, pour assurer les droits de personnes légalement décédées!
Pour en apprendre plus sur le trust: http://alcor.org/AboutAlcor/patientcaretrustfund.html
La manière dont le leader de la cryopreservation Alcor assure la pérennité de ses fonds semble robuste. Année après année le capital du Trust augmente et jamais, à ce jour, n’ont-ils été contraints de retirer leurs fonds placés dans la banque Morgan Stanley.
Laisser un commentaire